De plus en plus, le stand-up, comprenez le monologue comique, se développe sur l’île avec l’arrivée au cours des dernières années du Réunion Comedy Fest (un festival d’humour), le Run Comedie Club qui accueille des talents péi de la discipline et l’ouverture du Comedy School, l’école d’humour. Le stand-up se différencie des autres genres du comique. Les artistes s’adressent directement au public pendant quelques minutes, sans accessoires ni personnages, de façon beaucoup plus spontanée qu’un one man show (ndlr un spectacle solo).
Pour Arnaud Pothin gérant du Run Comedie Club, le stand-up est un produit “totalement différent” du one man show. “Le spectacle d’un humoriste c’est plus d’une heure de la même personne. Le stand-up, c’est la découverte de plusieurs humoristes dans le même spectacle avec des univers complétement différents. Ce genre semble de plus en plus séduire à La Réunion” explique-t-il.
Shirley Souagnon, comédienne, a pu le constater lors d’une masterclass tenue le jeudi 23 février 2023 au Kab’art à Saint-Leu avant la présentation de son spectacle “Être humain” le lendemain à Léspas Culturel Leconte de Lisle. L’humoriste avait organisé un rendez-vous similaire il y a huit ans. À l’époque, cinq personnes y avaient participé. Cette année, une quarantaine d’humoristes de la scène réunionnaise étaient présents pour échanger autour du stand-up, de l’humour, du métier.
À cette occasion, Shirley Souagnon a encouragé les stand-uppeurs “à quitter Paris” et aller ailleurs comme à La Réunion, où il y a beaucoup plus à faire.
“C’est important de décentraliser. Tout le monde ne peut pas prendre un billet aller-retour Paris- La Réunion tous les quatre matins. Ça permet aussi de créer des vocations. Les gens n’auront plus à aller loin pour se produire. Ils pourront à leur échelle commencer à se lancer” dit Arnaud Pothin. L’humoriste a passé plusieurs années sur la scène parisienne avant de revenir chez lui à La Réunion. Il ne voyait pas son retour sans l’ouverture d’un “comedy club péi” écoutez :
Arnaud Pothin, n’est pas le seul à s’être lancé dans l’aventure. Depuis 2019, un festival d’humour et une école sont arrivés sur l’île.
– De l’humour péi –
Mika H, Brice Liie et Titi le comik, des humoristes réunionnais, font vivre depuis une dizaine d’année le stand-up sur l’île. Pour Francisco Serrano, co-fondateur de la Comedy School 974, “il est important de ne pas les oublier”. “On arrive pour la plupart de métropole avec notre expérience de la scène parisienne mais eux sont ici depuis dix ans à essayer de mettre en place des évènements concrets. Il faut le valoriser” ajoute-t-il.
Aujourd’hui, ces artistes péi travaillent en collaboration avec les nouveaux arrivants comme Julien De Ruyck, organisateur du Réunion Comedy Fest.
“Pleins de force vives se sont rassemblés et ça semble fonctionner. En deux ans il s’est passé beaucoup de choses. Quand je suis arrivé certains humoristes répétaient où ils pouvaient. Aujourd’hui, un lieu a été mis en place pour leur permettre de s’entrainer” affirme Julien De Ruyck.
L’organisateur du festival explique que dans l’Hexagone, “l’humour et le spectacle peuvent connaître des baisses de fréquentations”. “À La Réunion c’est plutôt le contraire. La première édition du festival a eu lieu pendant la crise covid et ça a cartonné ! Il y a une vrai demande” souligne-t-il.
Chaque année depuis 2019, Julien De Ruyck organise le Réunion Comedy Cast pour sélectionner les artistes qui participeront au festival. Il s’est rendu compte de l’ampleur que prenait stand-up lors de ces auditions. “Pour la troisième édition, 25 personnes de tous les âges se sont déplacées dont 80% qu’on ne connaissait pas” annonce l’organisateur.
Julien de Ruyck fait aussi ce métier pour permettre à des humoristes locaux de se révéler. “Le but c’est aussi d’emmener sur la scène du festival de plus en plus d’humoristes péi mais aussi des femmes qui sont encore moins représentées dans ce milieu” ponctue-t-il.
Le Run Comedie Club partage cette ambition avec la mise en avant d’artistes créoles sur scène. “On sélectionne beaucoup d’artistes locaux. Voir des artistes créoles qui parlent à des créoles ça crée quelque chose de fort. Sur le long terme, notre plus grande ambition serait d’emmener quelques artistes qui ont réussis au Run Comedie Club, à Paris”, le lieu de référence du stand-up, développe Arnaud Pothin.
La Comedy School suit ce même chemin. Sabo Mujeni, travaillait dans la production des spectacles d’Anne Roumanoff, Francisco Serrano gérait l’Underground Comedy Club à Paris. Tous les deux ont décidés de quitter la capitale pour ouvrir leur école d’humour, première école du genre à La Réunion. Ils étaient persuadés qu’il y aurait des talents “à mettre en lumière”.
Francisco Serrano a remarqué “un gap (ndlr décalage) entre l’ancienne école des humoristes avec notamment Thierry Jardinot et la nouvelle génération”. “Dans toute la France des lieux dédiés à l’apprentissage de l’humour ont fleuri. Cette envie de monter sur scène est partagé par de nombreuses personnes et on a constaté qu’à La Réunion il n’y avait pas grand-chose dans ce sens” s’exprime le co-fondateur.
À l’ouverture il y a trois ans, les cours ont commencé avec huit élèves. Aujourd’hui la Comedy School accueille plus une trentaine, âgés de 15 à 55 ans. La majorité se situe entre 25 et 40 ans.
Le but des cours, tenus sur Saint-Pierre et Saint-Paul, est de découvrir l’art de l’humour, apprendre à structurer un texte, construire et travailler ses vannes. L’objectif pour les élèves : arriver à interpréter sur scène ce qu’ils ont écrit en fin d’année.
– Se développer de plus en plus malgré les difficultés –
Le Réunion Comedy Fest a rencontré un franc succès en 2023. Pour le futur, Julien De Ruyck voit plus loin. “Les humoristes venant de l’Hexagone sont toujours partants pour venir à La Réunion. Aujourd’hui, j’aimerais monter d’un cran et faire du Comedy Fest un “Jamel comedy club” ou un “Montreux festival”. Il y a largement de quoi faire ici” annonce-t-il.
Pour le Run Comedie Club, “sur une trentaine de dates, 25 sont complètes aujourd’hui” précise Arnaud Pothin. Des résultats encourageants pour la suite de l’aventure. “On souhaite ouvrir un nouveau club dans le sud et faire plus de trois dates par mois” lance le gérant.
La Comedy school souhaite ouvrir un cours sur Saint-Denis d’ici la fin de l’année et organiser des scènes dédiées à ses élèves. “Deux soirées tests sont prévues le 23 mars au Vavang’art à l’Entre-Deux et le 1er avril au Demeter à Saint-Leu. Ces lieux pourront peut-être devenir des fiefs de la Comedy School avec des soirées une fois par mois” explique Francisco Serrano.
Malgré la mise en avant de l’humour sur Netflix, Youtube et les réseaux sociaux un tremplin pour certains jeunes humoristes, le métier reste difficile.
“On n’en vit souvent jamais. Quand on est humoriste dans le stand-up il faut tout gérer. On doit être auteur, metteur en scène, producteur, commercial. C’est un métier qui demande beaucoup d’énergie. Finalement quand on monte sur scène dans des soirées gratuites on sera payé au chapeau et gagner entre 10 et 50 euros” indique Francisco Serrano. Pour lui, un humoriste a besoin de 10 ans de travail avant de commencer à être “un peu” reconnu pour ce qu’il fait. “C’est un travail de longue haleine et il faut que ce soit la passion qui vous porte” dit-il.
Julien de Ruyck confirme que ce sont des années de travail. “Pour avoir une bonne heure de spectacle il faut 3h de bonnes vannes derrière. Certains arrivent à en vivre mais moins à La Réunion. Des prises de conscience commencent à arriver et le traitement des stand-uppeurs commencent à changer. C’est encourageant” révèle-t-il.
Pour Arnaud Pothin, ce métier est très gratifiant. “C’est super d’entendre les gens rirent et avoir une conversation avec le public. Au départ, ça peut paraitre dur de se livrer et parler de sujets personnels sur scène. Il faut réussir à se délivrer, ça fait un bien fou. Cette sensation vaut tous les sacrifices qui sont fait à côté” conclut-il.
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